Thiaroye 44 : « 508 cartouches ont été utilisées pour tuer au minimum 200 tirailleurs Sénégalais

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Thiaroye 44 : « 508 cartouches ont été utilisées pour tuer au minimum 200 tirailleurs Sénégalais

THIAROYE 44, UNE HISTOIRE SANS FIN | SenePlus

1er décembre 1944 – 1er décembre 2024 ! Il y a 80 ans, des tirailleurs sénégalais qui réclamaient le versement de leurs soldes sont tués par l’administration coloniale dans des conditions, jusque-là, très obscures. Restée évasive sur le nombre de tirailleurs tués et leur lieu d’inhumation, la France a longtemps refusé de reconnaître ce crime de masse. Dans un cet entretien accordé à Seneweb le Pr Mor Ndao, ancien chef du département d’histoire à l’université de Dakar (Ucad) et actuel Directeur de l’école doctorale ETHOS, déclare -rapport à l’appui- que l’administration coloniale a déployé un bataillon de 585 hommes, des chars et automitrailleuses pour tuer au moins 200 tirailleurs. Des chiffres qui battent en brèche les 35 morts avancés par les autorités françaises. Entretien !

Le Sénégal commémore, ce dimanche 1er décembre 2024, le 80e anniversaire du massacre de Thiaroye où des tirailleurs qui réclamaient le versement de leurs soldes sont tués par l’armée coloniale française. Pouvez-vous revenir sur les évènements qui ont conduit à ce massacre ?

À partir de 1944, avec le renversement de la situation consécutive à la contre-offensive des alliés, plusieurs opérations de rapatriement sont menées par les autorités coloniales. En Bretagne à Morlaix, au début du mois de novembre, environ 2000 tirailleurs anciens prisonniers de guerre dans les camps allemands sont sollicités pour le retour.

Mais, c’est 1950 tirailleurs -d’après certaines sources- qui prennent le navire Le Circasia en direction de Dakar. En effet, avant l’embarquement, 300 environ exigent le versement des arriérés de solde, leur prime de démobilisation et le changement de leurs tenues jugées très insalubres. Plusieurs d’entre eux sont réprimés, faits prisonniers et transférés au camp de Trêves et emprisonnés pour deux mois. Le reste, 1950 embarquent pour Dakar. Ils transitent à Casablanca où les alliés, surtout le commandement américain, est bien déployé depuis fin 1942 dans le cadre de la bataille de la Méditerranée.

Le 21 novembre 1944, le navire Le Circasia arrive à Dakar. Mais, il manque 3000 éléments, laissés en rade -selon certaines sources- à Casablanca. Immédiatement des mesures sont prises pour le transfèrement des anciens prisonniers de guerre vers le camp militaire de Thiaroye.

Arrivés à Dakar, quelle attitude a adopté l’administration coloniale et quelles mesures a-t-elle adopté pour la prise en charge de leurs revendications ?

Le 25 novembre 1944, quatre jours après l’arrivée du détachement, le gouverneur général de l’AOF, Pierre Cournarie, émit la circulaire N°632 AP/2 qui détermine les modalités de la prise en charge des tirailleurs rapatriés. Pour le gouverneur, cette question relève exclusivement des autorités militaires. Ainsi, un ensemble de mesures fut prises : isolement dans des baraques appelées poulaillers à cause de l’insalubrité et de la précarité, froideur de l’accueil, rations infectes et insuffisantes.

D’autres mesures vont être prise et qui vont crisper les positions et élever la tension : restitution de l’uniforme de tirailleur offerte par les Américains à Casablanca, désaccord sur les taux de change du franc métropolitain en billets de banque de l’AOF, altercations, décision immédiate de rapatriement prise le 28 novembre 1944 sans aucune contrepartie, les autorités ayant décidé la régularisation par les Commandants de cercle une fois arrivés à destination.

Le 30 novembre l’ordre est donné de rejoindre la gare pour être convoyés. A ces mesures, s’oppose le refus catégorique des tirailleurs. Tout cela présageait du massacre qui allait se dérouler le 1er décembre 1944.

L’analyse et l’évaluation des événements indiquent un usage disproportionné de la force. A l’aube du 1er décembre 1944, un bataillon de 585 hommes de troupes (Dakar, Rufisque, Ouakam) provenant de plusieurs unités (gendarmerie, tirailleurs, artillerie, etc.) commandés par le général Dagnan et le Colonel Le Breut, avec trois automitrailleuses, un char et quelques véhicules encerclent les baraques. Les hommes, désarmés, sont rassemblés au milieu.

Après des tirs de sommation, le feu fut ouvert sur les tirailleurs par les chars, les automitrailleuses et les hommes armés. Le rapport du Colonel Carbillet dénombre 508 cartouches utilisées.

Dans la confusion, certains tirailleurs parvinrent à s’échapper. Ils furent rattrapés et menottés avant d’être exhibés dans les rues de Dakar.

2-Depuis près de 80 ans des zones d’ombre existent sur le nombre de tirailleurs tués (35 selon les autorités françaises à l’époque), et l’endroit où ils ont été enterrés. Que disent les archives et les différents travaux de chercheurs à ce propos ?

Concernant le nombre exact de victimes, les rapports officiels parlent de 35 morts. Le président François Hollande avait reconnu 70 morts et parlé de répression sanglante. Cette question reste toujours problématique aussi et constitue un nœud qu’il faut dénouer. Si on parcourt le rapport Carbillet qui donne des indications sur ce massacre, 508 cartouches ont été tirées sur des hommes désarmés et encerclés par un bataillon de 585 hommes et de chars et d’automitrailleuses. 

Au vu de ce rapport, on peut se faire une idée du nombre de victimes. Avec le nombre de cartouches, on peut parler de centaines de victimes lors de cette tuerie, voire 200 au minimum si on extrait des 1300 débarqués à Dakar, les rapatriés finaux.

Concernant leur lieu d’inhumation, il y a trois versions qui s’affrontent pour situer avec exactitude les lieux d’enterrement. La première version vient des populations de Thiaroye qui affirment que les tirailleurs exécutés ont été enterrés dans la bordure de l’ancien cimetière des soldats indigènes à Thiaroye.  Malgré une sécurisation des lieux, ils ont pu voir les tirailleurs enterrés dans deux fosses recouvertes de branchages et de plantes. La deuxième version nous vient de monsieur et de madame Koffi des agents de poste de Thiaroye qui parlent plutôt des enterrements dans des tombes individuelles au cimetière de Thiaroye. Mais ces tombes, pour certains, étaient celles des blessés du massacre ayant succombé à leurs blessures.

La troisième version parle d’un enterrement dans des fosses communes derrière les baraquements à Thiaroye. Les lieux une fois déterminés pourraient apporter des éclairages autour de ce massacre.

Le Sénégal a, dans cette optique d’ailleurs, constitué une délégation d’historiens, d’archivistes et de documentalistes envoyée en France pour consulter et numériser les archives détenues par la France. Y a-t-il une chance pour la manifestation de la vérité après toutes ces années ?

Je crois que c’est une bonne initiative qu’il faut saluer. Il s’agit plutôt d’une mission de reconnaissance et de collecte d’archives à Courneuve au Service historique de la Défense, au Centre des Archives d’Outre-Mer d’Aix en Provence, à Brest, Quimper, Nantes.

Je pense qu’il faut diversifier et développer les témoignages oraux très importants dans la réécriture de l’histoire africaine. Quand j’entends les populations de Thiaroye, on se rend compte qu’ils en savent beaucoup. Il s’y ajoute les archives américaines et anglaises car des commandements américains et anglais étaient à Dakar depuis fin 1942 suite à l’occupation de l’Afrique du Nord par les alliés engagés dans la bataille de la Méditerranée. Un consulat américain était à Dakar et ils sont très renseignés.

Depuis 80 ans, la France refuse de reconnaître ce massacre et de présenter ses excuses. Mais, ce jeudi, dans une lettre adressée au Chef de l’État, Emmanuel Macron a reconnu le ‘’Massacre’’. Au mois de juillet dernier également, 6 tirailleurs ont été reconnus à titre posthume « mort pour la France ». Est-ce qu’à travers ces actes on peut dire que le long combat pour la reconnaissance et les excuses est sur le point d’être gagné ?

La tragédie de Thiaroye constitue un fardeau pour la France et l’État colonial français. Cette lettre est une avancée si on voit l’évolution du dossier. En 1944 on parlait de rébellion armée, mutinerie, incitation à la violence et atteinte à la sûreté de l’État. Les rescapés de cette tuerie ont survécu et ont été condamnés par un tribunal, le 5 mars 1945. 35 tirailleurs rescapés ont été condamnés à des peines allant jusqu’à 10 ans de prison. En 1947, ils ont été amnistiés par le président Vincent Auriol. Mais cette amnistie n’absout pas juridiquement leur culpabilité car d’après le tribunal ils sont toujours coupables.

De mon point de vue, Il y a une évolution dans le traitement du dossier de ‘’Thiaroye 44’’ et la question dépasse le cadre colonial. Le président Senghor a consacré à ce massacre des poèmes et pièces de théâtre. Avec Fodéba Keïta (écrivain guinéen) ils ont mené un combat. Avant les indépendances, les mouvements nationalistes comme le PAI ont convoqué la question lors du référendum de 1958. Des mouvements ont demandé la reconnaissance du massacre de Thiaroye et la reconnaissance par la France.

Une évolution est constatée avec les autorités françaises. Le Président François Hollande a parlé de répression sanglante. Désormais, il est admis, par beaucoup, que c’est une tuerie, un massacre. Et le gouvernement français a tardé à la reconnaître.

Jeudi, le Président français Emmanuel Macron a reconnu officiellement la tragédie qu’il a lui-même qualifiée de « massacre ». La France, à mon avis, doit prendre ses responsabilités comme ce fut le cas avec la question algérienne avec la Commission Stora où il y a eu des avancées significatives dans le travail mémoriel de la colonisation française. Il doit en être de même pour Thiaroye 44. Ce qui nécessite une restitution des archives, une reconnaissance officielle, des excuses, la révision du procès, l’indemnisation, etc. Il s’agit d’un combat contre l’oubli.

Thiebeu Ndiaye

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